Au Burkina Faso, les étudiants, « trahis » par les élites politiques, placent leurs espoirs dans la junte
Quelques jours avant les mutineries dans le pays, il discutait avec des amis à l'ombre des caïlcédrats, dans la cour de l'UFR de lettres de l'université Joseph-Ki-Zerbo, à Ouagadougou. Tous « frères du Sahel » et originaires du nord du pays, ils ont pris l'habitude d'échanger des nouvelles de leurs proches restés au village en partageant un verre de thé. Etudiant en deuxième année d'allemand, Hati Ouedraogo n'est plus rentré chez lui depuis quatre ans. Toute sa famille a dû fuir face à l'arrivée des groupes djihadistes près de Tongomayel et plusieurs de ses oncles ont été tués.
Assis sur un banc métallique à ses côtés, ses camarades viennent de Djibo, d'Arbinda et d'autres localités proches de la frontière… En quelques années, eux aussi ont vu leurs terres se vider, leur village presque rayé de la carte à cause des violences. « Comment se projeter dans dix, vingt ans, quand on ne sait même pas de quoi demain sera fait », se désole l'étudiant, en haussant les épaules dans sa doudoune noire. Comme lui, ils sont de plus en plus de jeunes à s'interroger sur leur avenir dans un pays qui s'enlise dans la crise depuis 2015.
« Pas le droit d'échouer »
Au Burkina Faso, près d'un demi-million d'élèves ne vont plus à l'école primaire et à l'école secondaire, fermées à cause des menaces des djihadistes. Et seuls 8 % des jeunes poursuivent leurs études au niveau supérieur, faute de moyens. Dans les rues, certains se sont, depuis, reconvertis en commerçants ambulants, mendient aux feux rouges ou, pis, sont recrutés par les groupes armés.
A peine sorti de son évaluation d'allemand, Hati Ouedraogo, sac sur le dos, grimpe sur un vélo usé. Il est 18 heures, il est déjà en retard pour commencer sa « deuxième journée » de travail. Chaque nuit, pour payer ses études et la cantine, l'étudiant garde la porte d'une villa dans la capitale, jusqu'à 8 heures le lendemain matin. « J'en profite pour réviser. La journée, j'essaie de dormir deux heures par-ci par-là », explique-t-il, le regard creusé de cernes.
Ses parents, réfugiés dans un camp de déplacés à Djibo, ont tout perdu, leurs cultures et leurs troupeaux. « J'ai du mal à me concentrer, je m'inquiète sans cesse pour eux », confie Hati Ouedraogo, qui songe à abandonner son rêve de devenir enseignant. Anxiété, stress, cauchemars… « Beaucoup sont déprimés, mais bon, si nos parents résistent là-bas, nous sommes obligés de nous battre pour eux », ajoute Adama Sadou Tamboura, 23 ans, étudiant en droit et président de l'Association des élèves et étudiants de la province du Soum. Les amis n'ont « pas le droit d'échouer ».
Beaucoup sont obligés de multiplier les petits boulots en marge de leurs études pour envoyer un peu d'argent à leur famille. Adama Sadou Tamboura et son association organisent également des cours de soutien aux enfants déscolarisés pendant les vacances à Djibo et des collectes de dons de vêtements à l'université pour les déplacés. Il a aussi essayé d'interpeller les autorités et de proposer de recruter des étudiants pour enseigner dans les établissements fermés. Mais « toutes ces requêtes sont restées lettre morte », assure-t-il. Les militaires au pouvoir seront-ils plus réceptifs ? En tout cas, Hati Ouedraogo ne regrette pas le président déchu. « Il était incapable de nous sécuriser, il nous a oubliés, a délaissé notre région », s'attriste-t-il.
« A bout de souffle »
L'euphorie de l'insurrection populaire d'octobre 2014, puis l'espoir créé par l'élection de Roch Marc Christian Kaboré en 2015, après vingt-sept ans de règne de Blaise Compaoré, ont fait place au désenchantement. « Les jeunes espéraient des changements profonds, la fin de la corruption, du népotisme et de la mal-gouvernance. Beaucoup se sentent trahis et ne font plus confiance aux élites politiques, le système de représentation par les urnes, tel qu'il fonctionne, est à bout de souffle », observe Cheickna Yaranangoré, chercheur en sciences politiques et doctorant à l'université Thomas-Sankara.
Alors que 64 % de la population a moins de 24 ans au Burkina Faso, les jeunes restent largement sous-représentés dans la vie politique. Avant le putsch, seul un député avait moins de 35 ans à l'Assemblée, tandis que les plus jeunes ministres étaient quadragénaires. En 2020, pour sa réélection, l'ancien président n'a pas réussi à convaincre la jeunesse, les 18-35 ans ne représentant que 38 % des enrôlés sur les listes électorales.
Hati Ouedraogo fait partie de cette majorité qui s'abstient, mais il aime débattre. Souvent, il se rend aux discussions « Deux heures pour Kamita, deux heures pour l'Afrique », organisées chaque après-midi sur son campus. C'est un ancien étudiant, Serge Bayala, qui a créé en 2013 ce cadre pour expérimenter une « nouvelle forme de démocratie participative ».
Le débat auquel nous avons assisté a eu lieu une semaine avant la prise du pouvoir par l'armée au Burkina Faso et une semaine après l'arrestation d'une dizaine de militaires, déjà soupçonnés de fomenter un putsch. Le thème : « Tentative de coup d'Etat : instrumentalisation ou fait réel ? » « Que ceux qui veulent se jettent à l'eau ! », harangue le modérateur, debout sur une table en ciment.
« On en a assez ! »
Des milliers de civils tués depuis six ans, le manque de moyens de l'armée, l'impuissance des autorités à endiguer les violences… A son tour debout sur une table, face à ses camarades, Gnanou Nible, 27 ans, étudiant en troisième année de maths-physique, dit sa colère mais refuse de se résigner. Lundi, il a rallié la place de la Nation, à Ouagadougou, comme plusieurs centaines de personnes, pour crier sa joie et brandir le drapeau burkinabé, en soutien aux putschistes. « J'ai confiance dans le lieutenant-colonel Damiba. C'est un intellectuel, il a combattu sur le terrain et a étudié le problème du terrorisme au Sahel, il est plus apte que les politiques », estime l'étudiant.
Sur la place, la colère contre la France et la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) s'est fait entendre, plus bruyante, plus violente encore que les fois précédentes. Le président Emmanuel Macron a condamné, mardi, le coup d'Etat, et l'organisation sous-régionale a regretté « un recul démocratique majeur », annonçant un sommet extraordinaire vendredi.
« On les entend toujours condamner et juger du meilleur modèle de démocratie pour les peuples africains, on en a assez, c'est aux Burkinabés de décider ! », martèle Gnanou Nible, qui avait déjà manifesté samedi pour « soutenir les Maliens » face aux sanctions de la Cédéao visant la junte au pouvoir et participé au blocage du passage d'un convoi de l'armée française en novembre 2021, dans la périphérie de Ouagadougou. Gnanou Nible et ses amis, eux, veulent « recommencer à espérer et rêver ».
Paul-Henri Damiba, le chef de la junte au Burkina Faso, a déclaré jeudi 27 janvier dans la soirée que son pays avait « plus que jamais besoin de ses partenaires », à la veille d'un sommet des Etats ouest-africains qui pourrait déboucher sur des sanctions.
« J'appelle la communauté internationale à accompagner notre pays afin qu'il puisse sortir le plus rapidement possible de cette crise », a-t-il déclaré dans une allocution à la télévision nationale, sa première déclaration publique depuis sa prise de pouvoir.
Le lieutenant-colonel de 41 ans a affirmé « comprendre les doutes légitimes suscités » par le coup d'Etat. Il a aussi dit vouloir « rassurer l'ensemble des amis du Burkina Faso », assurant que « le pays continuera à respecter les engagements internationaux notamment en ce qui concerne le respect les droits de l'homme ».
« La priorité principale demeure la sécurité », a encore déclaré le chef de la junte, notant que son pays était « assailli de toutes parts par des groupes armés radicaux ».
Il s'est par ailleurs engagé « au retour à une vie constitutionnelle normale », « lorsque les conditions seront réunies », sans toutefois préciser d'agenda.
kenneth harrow
professor emeritus
dept of english
michigan state university
517 803-8839
harrow@msu.edu
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